jeudi 21 mai 2009

Rions jaune (suite)

Un texte fort bien tourné de P. Jourde (Grenoble-3): "manuel de destruction culturelle chapitre 1: l'université"
ou pourquoi, au fond, la culture ne sert rien.

http://bibliobs.nouvelobs.com/20090109/9827/manuel-de-destruction-culturelle-chapitre-1-luniversite
http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090128/10253/manuel-de-destruction-culturelle-2

Et plus ancien: (les liens de la page permettent de suivre les échanges)
http://bibliobs.nouvelobs.com/20090309/11109/lettre-ouverte-a-monsieur-jourde
Cette lettre ouverte me semble assez navrante. J'ai aussi bossé en entreprise et effectivement je préfère être là où finalement je suis. Pas parce que j'y étais nulle et inadaptée (mes chefs voulaient me garder, c'est dire!), mais parce qu'effectivement, je trouve plus de sens à mon métier actuel. Mais on a envie de retourner la question à l'auteur: "Si c'est si génial, d'être universitaire, pourquoi ne le devient-il pas?". Et cette autre, pourquoi opposer les caricatures de deux mondes, plutôt que deux versions réelles d'universités: la nôtre, où travailler devient chaque année plus dur malgré la bonne volonté de tant de collègues (entièrement d'accord avec P. Jourde sur la floppée de réformes stéiles et bureacratisantes), et celle de certains de nos collègues étrangers, pas forcément dans des facs richissimes, à qui on donne réellement les moyens de faire leur boulot (ils ne bossent pas moins, ce n'est pas ce qu'on demande, ils ne sont pas toujours payés plus, tous frais compris, et ce n'est pas ce que l'on demande non plus. Juste: à effort égal, ils ont le temps et les moyens de mieux former leurs étudiants et de publier plus, car ils n'ont pas à gérer les absurdités de notre système ni à s'adapter d'incessantes réformes ineptes). Bon, bien sûr, on peut aussi comparer avec des pays où c'est pire -- mais est-ce bien utile? Ah oui, ces bizarres universitaires coupés du monde dont parle l'auteur, ceux que je connais du moins prennent l'avion, cherchent des articles sur internet, ma^trisent fort bien la bureautique, échangent avec des collègues à l'autre bout du monde, par mail, par skype, et même, parfois, dans les diverses langues d'origine. C'est fou...

Le point en mai

Université et recherche: pourquoi nous ne cèderons pas
par des enseignants de l'Université de Strasbourg
Le Monde, Opinions 18:05/2009
Après quinze semaines de lutte, de grève et de manifestations diverses sur l'ensemble du territoire, le gouvernement reste obstinément campé sur ses positions initiales. S'il est encore trop tôt pour dresser un bilan du plus long mouvement universitaire de l'histoire récente, nous constatons que nos autorités de tutelle ont choisi l'épreuve de force plutôt que le compromis, la démagogie plutôt que la démocratie et une campagne de désinformation injurieuse plutôt que l'apaisement souhaité par tous les acteurs du conflit. Ce style de gouvernement, hélas, se généralise. Il ne manquera pas de susciter dans l'ensemble de la fonction publique et de la société des résistances à la mesure de l'incompréhensible gâchis du "modèle français" qu'il cherche à provoquer.
Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs a été modifié à la marge, sans l'accord des représentants réels de notre communauté : coordination nationale des universités, associations et sociétés savantes, syndicats majoritaires. Le contrat doctoral impose désormais le financement privé des thèses, au détriment des étudiants sans moyens propres, de la qualité d'un travail souvent long et pénible – et plus généralement des sciences humaines, rarement sponsorisées par les entreprises. Les accords passés avec le Vatican dans le cadre supposé de l'uniformisation européenne (processus de Bologne) mettent en danger le monopole de l'Etat républicain et laïque pour la délivrance des diplômes, ouvrant la voie aux revendications d'autres institutions religieuses et communautaires. La mastérisation de la formation des instituteurs et des enseignants du secondaire sera très probablement votée en catimini cet été et donnée pour acquise à la rentrée. L'autonomie des universités, dont personne ne conteste le bien-fondé en théorie, a été accordée sans moyens supplémentaires et surtout sans aucune garantie de séparation des pouvoirs, donc d'équité.
Prétendre que l'on ne peut réformer un pays crispé sur ses supposés "avantages sociaux" relève du mensonge ou d'un mépris volontaire de ce qui a été engagé par les gouvernements précédents – fussent-ils de droite – ceci, au nom d'une "rupture" moins "tranquille" que contradictoire et idéologique. Ce qui a provoqué le soulèvement des universitaires, ce n'est pas une opposition a priori aux réformes, mais la méthode brutale, les objectifs dissimulés de démantèlement du système éducatif, la remise en cause des compétences, le dénigrement systématique d'un métier en pleine mutation, le refus de revaloriser des carrières difficiles. Nous voulons que les parents aient confiance en l'école publique, que les vocations d'enseignant naissent, que la recherche fleurisse dans notre pays. Les réformes mises en oeuvre nous apparaissent au mieux comme une régression, au pire comme une volonté délibérée de ruiner toute possibilité d'accès au savoir, toute gratuité de la connaissance et au final, toute liberté de penser et de s'exprimer.
Ces derniers jours, on annonce urbi et orbi le retour à la normale tout en stigmatisant les résistants actifs, soi-disant noyautés par des extrémistes et des gauchistes. Certaines facultés refusent les examens, d'autres engagent un blocage administratif multiforme : moins visible dans l'immédiat, il empêchera à terme le fonctionnement des établissements, à commencer par la rentrée universitaire 2009. Toutes ces initiatives, adaptées aux circonstances particulières de chaque université, sont légitimes. Si les examens ont lieu aujourd'hui à Strasbourg, ce n'est ni sur ordre de ministres ayant perdu toute crédibilité et abdiqué toute dignité, ni parce que nous avons renoncé à notre combat. Cette décision a été prise par notre communauté universitaire – enseignants, chercheurs, personnels administratifs et techniques, étudiants – pour ne pas faire le jeu du gouvernement en sacrifiant ce pour quoi nous nous battons. Nous continuons à exiger le retrait des textes incriminés et demandons une vraie concertation. Nous en avons assez de subir des attaques insensées, nous voulons réfléchir sereinement, collectivement, efficacement à l'avenir de l'université française.
Signataires :
Anne-Marie Adam, professeur des Universités, antiquités nationales, Université de Strasbourg
Laetitia Bernadet, Ater, histoire romaine, Université de Strasbourg
Loup Bernard, maître de conférences, antiquités nationales, Université de Strasbourg
Georges Bischoff, professeur des Universités, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Sandra Boehringer, maîtresse de conférences, histoire grecque, Université de Strasbourg
Nicolas Bourguinat, maître de conférences, histoire contemporaine, Université de Strasbourg
Cédric Brélaz, maître de conférences, histoire grecque, Université de Strasbourg
Thomas Brunner, professeur agrégé, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Laurence Buchholzer, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Frédéric Colin, professeur des Universités, directeur de l'Institut d'égyptologie, Université de Strasbourg
Damien Coulon, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Valérie Da Costa, maître de conférences, histoire de l'art contemporain, Université de Strasbourg
Dominique Dinet, professeur des Universités, histoire moderne, Université de Strasbourg
Sylvie Donnat, maître de conférences, égyptologie, Université de Strasbourg
Jean-Pascal Gay, maître de conférences, histoire moderne, Université de Strasbourg
Michel Humm, professeur des Universités, histoire ancienne, Université de Strasbourg
Jean-Marie Husser, professeur des Universités, histoire des religions, Université de Strasbourg, doyen de l'UFR des
Sciences Historiques
Isabelle Laboulais, maître de conférences, histoire moderne, Université de Strasbourg
Dominique Lenfant, Professeur des Universités, histoire grecque, Université de Strasbourg
Thomas Loué, maître de conférences, histoire économique et sociale, Université de Strasbourg
Jean-Yves Marc, professeur des Universités, archéologie romaine, Université de Strasbourg
Catherine Otten, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Philippe Quenet, maître de conférences, antiquités orientales, Université de Strasbourg
Jean-Jacques Schwien, maître de conférences, archéologie médiévale, Université de Strasbourg
Alexandre Sumpf, maître de conférences, histoire contemporaine, Université de Strasbourg
Eckhard Wirbelauer, professeur des Universités, histoire ancienne, Université de Strasbourg


Débats autour de la refondation de l'Université
Le texte:
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/05/15/manifeste-pour-la-refondation-de-l-universite-francaise_1193631_3232.html
La réponse de V. Pécresse:
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/05/18/universites-valerie-pecresse-repond-a-l-appel-des-refondateurs_1194399_3232.html
La réponse à la réponse:
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/19/universites-les-refondateurs-refusent-la-recuperation-politique_1195088_3224.html#xtor
Et mon avis:
Je n'adhère pas à tous les points du texte initial. En particulier, malgré les "statistiques" sans recul qu'on nous assène, je ne pense pas que l'Université soit moribonde. Ce catastrophisme très stratégique ne colle pas avec ce que je vois sur le terrain, et notamment la créativité de tous les jours, grève ou pas grève, bien souvent bridée, hélas, par la bureaucratisation croissante de notre gestion. Mais il est temps, effectivement, d'affirmer haut et fort l'Université que nous voulons.
Celle que je veux partage avec les prépas et les IUT le taux d'investissement public par étudiant. Il est honteux que l'état investisse quatre fois plus pour un étudiant de prépa ou d'iUT que pour un étudiant. Et a les moyens humains et matériels d'encadrer aussi bien les étudiants des premiers cycles. Comme en prépa ou en IUT, les étudiants doivent pouvoir appartenir pour la majeure partie de leurs temps de cours à la même classe, se connaître, pouvoir travailler ensemble. Pour avoir connu, comme élève, les trois structures, je dirais que c'est là la force des pépas et des IUT: les liens humains qu'ils créent.
Mais elle ne partage pas avec eux le type de sélection à l'entrée. Je suis contre, clairement. Et j'estime que le droit de s'inscrire dans n'importe quelle fac qui caractérise notre système doit être préservé. En revanche, il faut en tirer les conséquences: dans un DEUG de Lettres modernes, on n'encadre pas de la même manière un étudiant qui vient de passer trois ans à faire des Lettres, et un étudiant qui vient de passer trois ans à faire de la gestion ou des maths. On doit pouvoir avoir les moyens de différencier leur encadrement et leur formation, quitte à avoir un an de plus, ou des plages de formation spécifiques.
J'ai gardé de la prépa une pluridisciplinarité précieuse. Je ne suis donc pas contre. Mais elle n'a rien à voir avec celle que Mme la Ministre se targue d'introduire dans les prochaines maquettes, et qui ne ressemble franchement qu'à du saupoudrage ingérable. Construire de la vraie pluridisciplinarité demande du temps, de la réflexion, de l'expérimentation et d'eventuels réaiguillages, bref, de l'intelligence et pas juste des mots et des bidouillages de maquettes, et elle n'a pas forcément à être identique pour toutes les disciplines.
D'une manière générale, le texte de la ministre me fait bien rigoler (jaune). Elle y affiche de grands principes louables... que chacune de ses réformes contredit dans les faits, à commencer par les budgets. Et la prétendue autonomie claironnée va de pair avec la plus grande rigidité bureaucratique qu'on ait jamais connu. Je le rappelle: demander à quelqu'un d'être plus autonome, ce n'est possible que si on arrête de penser et décider pour lui, qu'on lui fait confiance jusque dans ses erreurs, et qu'on commence par écouter ce qu'il vous dit et par le prendre en compte réellement, même si c'est pour lui montrer en quoi il a éventuellement tort. On n'en a jamais été aussi loin...
Enfin, la collégialité était clairement défaillante dans nos Universités françaises. Mais la LRU n'a fait qu'aggraver les choses, en tentant de rapprocher notre mode de fonctionnement de celui d'une entreprise -- comme tout le monde le sait, une entreprise, c'est vachement collégial :-)!! Ou alors, pour lesactionnaires, peut-être ?! Mme Pécresse n'a pas l'air d'avoir compris (ou alors trop bien ?) que le même mot, 'Conseil dAdministration' par exemple, peut cacher des réalités très différentes selon le contexte où il s'applique (voir cours de sémantique lexicale, niveau 1). A nous de redonner leur sens aux mots...