lundi 15 juin 2009

Fac, télé et p'tites pépées

Une bien belle analyse "filmique" de Judith Bernard: la fac vue par le 20h. Ou comment, à la moulinette de nos chers JT, les idéologies dominantes prennent le masque de l'évidence.
http://www.arretsurimages.net/TMP-A2E4CC7561-2042-4548

Et méditons cette phrase, tirée de D. Foster Wallace (2009), This is water, Little, Brown & C°, Hachette Book Group:
"learning how to think really means learning how to exercice some control
over how and what you think"

dimanche 14 juin 2009

vendredi 12 juin 2009

Communiqué du Collectif Dauphine
des enseignants-chercheurs, personnels BIATOSS et étudiants
engagés dans le mouvement contre les "réformes" de l'enseignement supérieur et de la recherche :

"Après s'être engagés pendant plus de 20 semaines dans l'un des mouvements les plus longs et les plus durs de l'histoire contre la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche, les enseignants-chercheurs, chercheurs, personnels BIATOSS et étudiants de Paris-Dauphine tiennent à exprimer leur profond désarroi et leur extrême inquiétude quant à la poursuite de ladite réforme.
Sans concertation véritable avec les instances représentatives, dans une surdité absolue et au mépris des principes pourtant affichés de " négociation " et de " participation " sociales, usant de stratagèmes qu'on ne peut que regretter dans le cadre d'une démocratie pour faire diversion et désinformer le grand public, le gouvernement entend bien faire passer ses réformes à la fois sur le statut des enseignants-chercheurs, sur le contrat doctoral unique, sur la mastérisation, sur le démantèlement des organismes de recherche et sur celui en définitive de l'université. Bien que cela soit peu connu de " l'opinion publique " et contrairement à une idée reçue qui voudrait que seules les universités les moins favorisées se soient engagées dans le mouvement, les enseignants-chercheurs de l'Université Paris-Dauphine ont largement pris part, tout au long de cette mobilisation, aux actions de protestation et ce, quels que soient leur statut et leur discipline.
Le choix a été de combiner plusieurs formes d'insertion dans le mouvement : information des étudiants et discussions dans le cadre des cours ; mise en place de cours alternatifs (dont les " Vendredis de Dauphine " avec invitations d'intervenants extérieurs analysant les effets de l'application des réformes dans d'autres pays et leurs enjeux pour la formation et la recherche), organisation de près d'une dizaine d'assemblées générales, ainsi qu'une action commune avec l'Université de Paris VIII et l'INALCO à l'occasion de la célébration des 40 ans de Dauphine. Une pétition, lancée en décembre 2008 contre le décret sur le statut des enseignants-chercheurs, a recueilli près de 175 signatures parmi les universitaires de Paris-Dauphine, dont des gestionnaires, des économistes, des juristes, des mathématiciens, des informaticiens, des sociologues, des linguistes et des politistes. Surtout, c'est près de 50 % des enseignants qui, en premier cycle et toutes matières confondues, ont retenu leurs notes d'examen du premier semestre. Ce taux est particulièrement important dans les départements Licence de Sciences des Organisations (près de 2500 étudiants) et Mathématiques et Informatique de la Décision et des Organisations (près de 1300 étudiants).
Contrairement à l'idée véhiculée par les membres du gouvernement et reprise, sans vergogne mais de manière significative, par certains organes de presse, il ne s'est nullement agi d'" enseignants irresponsables " ou de " groupes irréductibles et extrémistes ", ni même d'une minorité, mais bien au contraire d'universitaires de tous horizons soucieux de la qualité du service public d'enseignement et de recherche et fondamentalement et irréductiblement attachés aux principes d'égalité et d'excellence pour le plus grand nombre.
C'est dans le but de pouvoir exprimer la position la plus collective et visible possible que nous avons tenu une nouvelle réunion à Paris-Dauphine le 28 mai dernier, laquelle a rassemblé environ 60 personnes, enseignants-chercheurs et personnels Biatoss. Nous avons constaté les difficultés générales et locales de la mobilisation pour de multiples raisons, et estimé que, dans le contexte de la campagne de désinformation menée contre les enseignants-chercheurs et d'étiolement de la mobilisation, mettre en danger la tenue des examens du 2nd semestre n'aiderait pas à faire comprendre et même entendre notre point de vue. Les mêmes arguments ont prévalus quant à la poursuite de la rétention des notes, considérée majoritairement comme une mesure inadéquate pour l'instant.
Mais ce jugement porté sur les modalités d'actions s'est accompagné d'une appréciation optimiste de ce qui s'est aussi construit dans ce mouvement, et d'une claire volonté de continuer, sous d'autres formes, notre mobilisation.
Nous avons donc décidé tout d'abord de nous donner les moyens de faire publiquement connaître aux instances de notre université, à nos gouvernants, à nos étudiants et à la population ce qu'a été et ce qui demeure notre point de vue : nous réaffirmons donc notre opposition à la fois aux décisions iniques et particulièrement inquiétantes concernant le processus de démantèlement de la fonction publique de l'enseignement et de la recherche affectant notre statut, celui des doctorants et des personnels BIATOSS, la formation des enseignants et l'organisation de la recherche publique. Nous sommes particulièrement choqués par la façon dont les décrets et décisions sont imposés par le gouvernement à la communauté universitaire.
Nous décidons par conséquent :
- de faire signer parmi le personnel de Paris-Dauphine cette analyse et de la rendre publique ;
- sur cette base de consolider, étendre, pérenniser la mise en place d'un Collectif Dauphine, doté d'un blog, qui restera vigilant et mobilisé de façon solidaire avec l'ensemble de la communauté des étudiants, enseignants-chercheurs et personnels des universités contre ces réformes. Un tel Collectif qui a tenu sa première réunion le 9 juin, sera inclusif de toutes les personnes (individuelles, représentants syndicaux ou associatifs, ou liés à des listes d'élus...) partageant nos objectifs :
* s'inscrire au plan local, national et européen dans une réflexion et action durable en défense des services publics d'éducation et de recherche contre des politiques que la crise mondiale actuelle délégitime profondément ;
* préparer dans ce cadre des Etats-généraux de l'enseignement supérieur en organisant à Dauphine une série de rencontre-débats et autres initiatives ;
* veiller à obtenir des instances de l'université Paris Dauphine une transparence et des débats sur l'interprétation et l'application de décrets éminemment ambigus que nous restons prêts à contester.

Collectif Dauphine."

samedi 6 juin 2009

Klimt, les photons et la recherche

A lire sur LeMonde.fr. Ne manquez pas l'avant dernier paragraphe...

Cantique du quantique
LE MONDE 02.06.09 18h04
ans son bureau de l'Ecole normale supérieure (ENS), un tableau couvert de schémas et de formules bizarroïdes. Lui parle de peinture, d'opéra. Ses autres passions. Entre la science et l'art, il sent des "résonances". L'une et l'autre produisent "des choses mystérieuses". L'astronomie de Galilée est soeur des clairs-obscurs du Caravage. Profitant d'un congrès scientifique à Vienne, il vient de revoir les toiles de Schiele et de Klimt. L'"effervescence" et l'"inquiétude" qui les habitent sont les mêmes que celles qui entourent l'éclosion de la physique quantique, dans l'Europe tourmentée du début du XXe siècle.

Serge Haroche ne regarde pas la réalité avec les mêmes yeux que nous. Pour lui, une chose n'est pas blanche ou noire. Elle peut être simultanément blanche et noire. Mieux, elle ne se trouve pas ici ou là, mais peut-être à la fois ici et là. Chez lui, une porte n'est pas ouverte ou fermée. Elle peut être en même temps ouverte et fermée, aux deux extrémités de la pièce. Auprès de lui, un être n'est pas vivant ou mort. Il peut être dans le même temps vivant et mort, quelque part et ailleurs... Bienvenue dans le monde déroutant de la physique quantique !
Dans cet univers paradoxal, où les certitudes sont aléatoires et les vérités contre-intuitives, un fait reste sûr : ici et maintenant, Serge Haroche est le lauréat de la médaille d'or du CNRS, la plus prestigieuse distinction scientifique française. Retour dans le monde normal.
Cheveu noir piqué de blanc, veste sombre sur chemise claire, geste ferme et verbe fluide, le chercheur n'a pas son pareil pour vous prendre par la main et vous guider - un "passeur d'idées", disent ses collègues -, de l'un à l'autre de ces deux mondes. L'expérience est aussi radicale que le passage de l'impressionnisme au cubisme. D'un côté, les lois de la physique classique, qui décrivent la nature à notre mesure et à celle, plus grande encore, des planètes et des galaxies. De l'autre, les principes de la physique quantique, qui s'appliquent aux atomes, aux particules élémentaires et à l'infiniment petit.
A cette échelle, explique-t-il, la matière peut être en "superposition", dans plusieurs niveaux d'énergie à la fois. Et, du fait de sa double nature de corpuscule et d'onde, être localisée en différents endroits. La diablerie est que toute intervention extérieure - à commencer par une mesure scientifique - lève l'ambiguïté, en forçant la matière à adopter un état ou une position unique. C'est la "décohérence". Voilà pourquoi, dans la vie courante, où un corps est soumis à l'influence de son environnement, les états superposés sont si fugaces qu'ils sont insaisissables. En sorte qu'une chose est soit blanche soit noire, une porte tantôt ouverte et tantôt fermée, un être jamais mort-vivant.
La superposition et la "décohérence", Serge Haroche les a connues enfant. Né à Casablanca d'un père juif marocain, avocat, et d'une mère d'origine russe, enseignante, il quitte le Maroc à 12 ans, quand le pays obtient son indépendance. Sa famille préfère ses attaches avec la France, tissées par ses grands-parents, directeurs de l'Alliance française.
Reçu major à l'X, il opte, plutôt que pour une carrière de grand capitaine d'industrie ou de grand commis de l'Etat, pour la recherche, à Normale-Sup - l'ENS. Il s'intéresse aux interactions entre atomes et rayonnement : une façon de "comprendre le monde au niveau le plus fondamental, puisque toutes les informations que nous recevons de notre environnement passent par la lumière". C'est l'époque, les années 1960, où la science optique vit une révolution, où les physiciens apprennent à piéger et à manipuler la matière avec la lumière. Sa thèse portera sur "l'atome habillé", jolie formule décrivant comment une particule interagit avec les grains de lumière (les photons) qui l'entourent.
ll est à l'école des meilleurs : Alfred Kastler (Nobel de physique en 1966), Jean Brossel, Claude Cohen-Tannoudji (Nobel en 1997). Recruté au CNRS à 23 ans, il est bientôt nommé professeur à l'université Pierre-et- Marie-Curie. La physique quantique n'en est plus à ses balbutiements, la théorie est solidement établie. Ce qui est nouveau, c'est que les outils modernes permettent de la vérifier.
Les grands anciens, Einstein, Bohr et les autres, en étaient réduits à des "expériences de pensée" virtuelles. Comme celle, fameuse, de Schrödinger, où un chat est suspendu entre la vie et la mort. Serge Haroche, lui, réussit à apprivoiser atomes et photons. Il parvient à mettre en boîte une superposition quantique et à suivre en temps réel sa perte de cohérence. Puis à détecter un photon sans le détruire : un tour de force, puisqu'un grain de lumière disparaît aussitôt qu'il est vu par notre oeil ou par un capteur, qui le transforment en signal chimique ou électrique.
Son laboratoire, un caveau au sous-sol de l'ENS, a tout de l'atelier du bricoleur, bardé de tuyaux, de tubes et de cylindres enveloppés de papier aluminium. Mais il recèle un bijou de technologie. Un boîtier aux parois ultraréfléchissantes, refroidi à une température proche du zéro absolu, où un photon peut être emprisonné suffisamment longtemps - 13 centièmes de seconde, le temps de rebondir plus de 1 milliard de fois et de parcourir 40 000 km, soit la circonférence de la Terre - pour provoquer un infime décalage dans le battement (la transition entre deux niveaux d'énergie) d'atomes injectés, à la queue leu leu, dans le réceptacle. Et manifester ainsi son existence. "Un travail collectif", insiste Serge Haroche, impossible sans l'équipe constituée avec deux de ses anciens élèves, Jean-Michel Raimond et Michel Brune.
L'Electrodynamique quantique en cavité, dont il est l'un des chefs de file, pourrait déboucher sur les systèmes d'information et de cryptage de demain. Mais, à ses yeux, "la recherche ne se justifie pas par ses retombées économiques, comme le système d'attribution des crédits pousse à le faire". Il s'agit, pense-t-il, "d'une marque de culture et de civilisation, aussi noble que l'art".
Voilà pourquoi un gouvernement devrait "favoriser la recherche fondamentale". Ne pas décourager "l'enthousiasme des jeunes chercheurs" par des conditions matérielles "misérables". Et "mettre beaucoup d'argent dans la formation". Une tâche prioritaire qui, à l'heure où se développe "un inquiétant esprit antiscientifique", fait des enseignants "les dépositaires, bien plus que les banquiers, de la richesse d'un pays".
Loin de s'enfermer dans sa cavité d'ivoire, Serge Haroche possède, de l'honnête homme, "la curiosité pour ses semblables, la hauteur de vue, et l'humour", disent ses proches. Il le doit pour beaucoup, dit-il, à son épouse, anthropologue et sociologue. La superposition quantique ne manque finalement pas de cohérence.
Pierre Le Hir