samedi 20 septembre 2008

Nostalgie

Les chansons qui nous ont accompagné
Et la tendresse qu'on garde pour ses amours passées...

In memoriam...
Reggiani- Il suffirait de presque rien
http://fr.youtube.com/watch?v=WZ88oTITMoM



Evidemment, Bowie!
The Man Who Sold The World
http://www.youtube.com/watch?v=LSnXjE66tvQ

… et la version originale, mais sans image
http://www.youtube.com/watch?v=HSH--SJKVQQ&feature=related


Aladdin Sane
http://www.youtube.com/watch?v=e5X6MmDbrmQ

The Bewlay Brothers
http://www.youtube.com/watch?v=pO9JBM1ufA8

Rock’n’Roll Suicide
http://www.youtube.com/watch?v=9jg4ekLG9Zo&feature=related

Kooks
So cute…. http://www.youtube.com/watch?v=iN3Q_Yr8ZD0
Même si (musicalement !) je préfère la version finale :
http://www.youtube.com/watch?v=YBQ7ZJ3k17E&feature=related

Life on Mars
http://www.youtube.com/watch?v=ueUOTImKp0k&feature=related

Quicksand
http://www.youtube.com/watch?v=YCN6IvtoWj8&feature=related

Changes
http://fr.youtube.com/watch?v=pl3vxEudif8

Young Americans
http://www.youtube.com/watch?v=G1hvOcd3B7Q&feature=related

Heroes
http://www.youtube.com/watch?v=ejJmZHRIzhY

Moon of Albama
http://fr.youtube.com/watch?v=jGhahRM-138

Letter to Hermione
http://fr.youtube.com/watch?v=vzKZXkY7U_o&feature=related

Iggy Pop & David Bowie : The Passenger
http://www.youtube.com/watch?v=9jg4ekLG9Zo&feature=related

Velvet Underground : Venus in Furs
http://fr.youtube.com/watch?v=AwzaifhSw2c

Velvet Underground : Walk on the Wild Side
http://fr.youtube.com/watch?v=WZ88oTITMoM



D’autres plus tard, si vous êtes sages !

dimanche 14 septembre 2008

Momo, Moïse et Brassens


On a sonné à la porte, je suis allé ouvrir et il y avait là un petit mec encore plus triste que d’habitude, avec un long nez qui descendait et des yeux comme on en voit partout mais encore plus effrayés. Il était très pâle et transpirait beaucoup, en respirant vite, la main sur le cœur, pas à cause des sentiments mais parce que le cœur est ce qu’il y a de plus mauvais pour les étages. Il avait relevé le col de son pardessus et n’avait pas de cheveux comme beaucoup de chauves. Il tenait son chapeau à la main, comme pour prouver qu’il en avait un. Je ne savais pas d’où il sortait, mais je n’avais jamais vu un type aussi peu rassuré. Il m’a regardé avec affolement et je lui ai rendu la monnaie car je vous jure qu’il suffisait de voir ce type-là une fois pour sentir que ça va sauter et vous tomber dessus de tous les côtés et c’est la panique.
— Madame Rosa, c’est bien ici ?

Il faut toujours être prudent dans ces cas-là, parce que les gens
que vous ne connaissez pas ne grimpent pas six étages pour vous faire plaisir. J’ai fait le con comme j’ai le droit à mon âge.
— Qui ?

— Madame Rosa.

J’ai réfléchi. Il faut toujours gagner du temps dans ces cas-là.

— C’est pas moi.

Il a soupiré, il a sorti son mouchoir, il s’est essuyé le front et après il a refait la même chose dans l’autre sens.
— Je suis un homme malade, dit-il. Je sors de l’hôpital où je suis resté onze ans. J’ai fait six étages sans la permission du médecin. Je viens ici pour voir mon fils avant de mourir, c’est mon droit, il y a des lois pour ça même chez les sauvages. Je veux m’asseoir un moment, me reposer, voir mon fils, et c’est tout. Est-ce que c’est ici ? J’ai confié mon fils à Madame Rosa il y a onze ans de ça, j’ai un reçu.
Il a fouillé dans la poche de son pardessus et il m’a donné une feuille de papier crasseuse comme c’est pas possible. J’ai lu ce que j’ai pu grâce à Monsieur Hamil, à qui je dois tout. Sans lui, je ne serais rien. Reçu de Monsieur Kadir Yoûssef cinq cents francs d’avance pour le petit Mohammed, état musulman, le sept octobre 1956. Bon, j’ai eu un coup, mais on était en 1970, j’ai vite fait le compte, ça faisait quatorze ans, ça pouvait pas être moi. Madame Rosa a dû avoir des chiées de Mohammed, à Belleville, c’est pas ce qui manque.

— Attendez, je vais voir.

Je suis allé dire à Madame Rosa qu’il y ava
it là un mec avec une sale gueule qui venait chercher s’il avait un fils et elle a tout de suite eu une peur bleue.
— Mon Dieu, Momo, mais il n’y a que toi et Moïse.

— Alors, c’est Moïse, que je lui ai dit, parce que c’était lui ou moi, c’est la légitime défense. […]

Madame Rosa avait toute sa tête à elle ce jour-là, et c’est ce qui nous a sauvés. […]
— Comment déjà, vous dites ?
Le mec a failli pleurer.
— Madame, je suis un homme malade.
— Qui ne l’est pas, qui ne l’est pas, a dit Madame Rosa pieusement, et elle a même levé les yeux au ciel comme pour le remercier.

— Madame, mon nom est Kadir Yoûssef, Youyou pour les infirmiers. Je suis resté onze ans en hôpital psychiatrique, après cette tragédie dans les journaux dont je suis entièrement irresponsable.


J’ai brusquement pensé que Madame Rosa demandait tout le temps au docteur Katz si je n’étais pas psychiatrique, moi aussi. Ou héréditaire. Enfin, je m’en foutais, c’était pas moi. J’avais dix ans, pas quatorze. Merde.
— Et votre fils s’appelait comment, déjà ?

— Mohammed.
Madame Rosa l’a fixé du regard tellement que j’ai même eu encore plus peur.
— Et le nom de la mère, vous vous en souvenez ?

Là, j’ai cru que le type allait mourir. Il est devenu vert, sa mâchoire s’est affaissée, ses genoux sursautaient, il avait des larmes qui sont sorties.

— Madame, vous savez bien que j’étais irresponsable. J’ai été reconnu et certifié comme tel. Si ma main a fait ça, je n’y suis pour rien. On n’a pas trouvé de syphilis chez moi, mais les infirmiers disent que tous les arabes sont syphilitiques. J’ai fait ça dans un moment de folie, Dieu ait son âme. Je suis devenu très pieux. Je prie pour son âme à chaque heure qui passe. Elle en a besoin, dans le métier qu’elle faisait. J’avais agi dans une crise de jalousie. Vous pensez, elle se faisait jusqu’à vingt passes par jour. J’ai fini par devenir jaloux et je l’ai tuée, je sais. Mais je ne suis pas responsable. J’ai été reconnu par les meilleurs médecins français. Je ne me souvenais même de rien, après. Je l’aimais à la folie. Je ne pouvais pas vivre sans elle.
Madame Rosa a ricané. Je ne l’ai jamais vue ricaner comme ça. C’était quelque chose… Non, je ne peux pas vous dire ça. Ca m’a glacé les fesses.

— Bien sûr que vous ne pouviez pas vivre sans elle, Monsieur Kadir. Aïcha vous rapportait cent mille balles par jour depuis des années. Vous l’avez tuée pour qu’elle vous rapporte plus.
Le type a poussé un petit cri et puis il s’est mis à pleurer. C’était la première fois que je voyais un Arabe pleurer, à part moi. J’ai même eu pitié, tellement je m’en foutais. […]
Il se tourna vers vers moi et me regarda avec une peur bleue, à cause des émotions que ça allait lui causer.
— C’est lui ?
Mais Madame Rosa avait toute sa tête et même davantage. Elle s’est ventilée, en regardant Monsieur Yoûssef Kadir comme si elle savourait d’avance. Elle s’est ventilée encore en silence et puis elle s’est tournée vers Moïse.
— Moïse, dis bonjour à ton papa.
— B’jour, p’pa, dit Moïse, car il savait bien qu’il n’était pas arabe et n’avait rien à se reprocher.
Monsieur Youssef Kadir devint encore plus pâle que possible.
— Pardon ? Qu’est-ce que j’ai entendu ? Vous avez dit Moïse ?

— Oui, j’ai dit Moïse, et alors ?
Le mec se leva. Il se leva comme sous l’effet de quelque chose de très fort.
— Moïse est un nom juif, dit-il. J’en suis absolument certain, Madame. Moïse n’est pas un bon nom musulman. Bien sûr, il y en a, mais pas
dans ma famille. Je vous ai confié un Mohammed, Madame, je ne vous ai pas confié un Moïse. Je ne peux pas avoir un fils juif, Madame, ma santé ne me le permet pas.

Moïse et moi on s’est regardé, on a réussi à ne pas nous marrer. […]

— […] Il y avait un Mohammed Kadir, pas un Moïse Kadir, Madame, je ne veux pas redevenir fou. Je n’ai rien contre les Juifs, Madame, Dieu leu
r pardonne. Mais je suis un Arabe, un bon musulman, et j’ai eu un fils dans le même état. Mohammed, Arabe, musulman. Je vous l’ai confié dans un bon état et je veux que vous me le rendiez dans le même. Je me permets de vous signaler que je ne peux supporter des émotions pareilles. J’ai été l’objet de persécutions toute ma vie, j’ai des documents médicaux qui le prouvent, qui reconnaissent à toutes fins utiles que je suis un persécuté.
— Mais alors, vous êtes sûr que vous n’êtes pas juif ? demanda Madame Rosa avec espoir. […]

— Madame, je suis persécuté sans être juif. Vous n’avez pas le monopole. C’est fini, le monopole juif, Madame. Il y a d’autres ge
ns que les juifs qui ont le droit d’être persécutés aussi. Je veux mon fils Mohammed Kadir dans l’état arabe dans lequel je vous l’ai confié contre reçu. Je ne veux de fils juif sous aucun prétexte, j’ai assez d’ennuis comme ça.
— Bon, ne vous émouvez pas, il y a peut-être eu une erreur, dit Madame Rosa, car elle voyait bien que le mec était secoué de l’intérieur et qu’il faisait même pitié, quand on pense à tout ce que les Arabes et les Juifs ont déjà souffert ensemble. […]

— J’ai dû élever Mohammed comme Moïse et Moïse comme Mohammed, dit Madame Rosa. Je les ai reçus le même jour et j’ai mélangé. Le petit Moïse, le bon, est maintenant dans une bonne famille musulmane à Marseille, où il est très bien vu. Et votre petit Mohammed ici présent, je l’ai élévé comme juif. Barmitzwah et tout. Il a toujours mangé kasher, vous pouvez être tranquille.
— Comment, il a toujours mangé kasher ? piailla Monsieur Kadir Yoûssef, qui n’avait même pas la force de se lever de sa chaise tellement il était effondré sur toute la ligne. Mon fils Mohammed a toujours mangé kasher ? Il a eu sa barmitzwah ? Mon fils Mohammed a été rendu juif ?
— J’ai fait une erreur identique, dit Madame Rosa. L’identité, vous savez, ça peut se tromper également, ce n’est pas à l’épreuve. Un gosse de trois ans, ça n’a pas beaucoup d’identité, même quand il est circoncis. Je me suis trompé de circoncis, j’ai élévé votre petit Mohammed comme un bon petit Juif, vous pouvez être tranquille. Et quand on laisse son fils pendant onze ans sans le voir, il faut pas s’étonner qu’il devient juif….

— Mais j’étais dans l’impossibilité clinique ! gémit Monsieur Kadir Yoûssef.
— Bon, il était arabe, maintenant il est un peu juif, mais c’est toujours votre petit ! dit Madame Rosa avec un bon sourire de famille. […] Les états arabes et les états juifs, ici, c’est pas tenu compte. Si vous voulez votre fils, vous le prenez dans l’état dans lequel il se trouve. D’abord, vous tuez la mère du petit, ensuite vous vous faites déclarer psychiatrique et ensuite vous faites encore un état parce que votre fils a été grandi juif, en tout bien tout honneur ! Moïse, va embrasser ton père, même si ça le tue, c’est quand même ton père !
[…]
Moïse a fait un pas vers Monsieur Yoûssef Kadir et celui-ci a dit une chose terrible pour un homme qui ne savait pas qu’il avait raison.
— Ce n’est pas mon fils ! cria-t-il, en faisant un drame.
Romain Gary ; La Vie Devant Soi, Mercure de France, 1975 — extrait des pages 181-199


Brassens : Le Temps ne fait rien à l’affaire

vendredi 12 septembre 2008

Perlimpinpin


Calcutta, bords du Gange, 2000


Guitarra-Siguiriyas


Diego Clavel por Siguiriyas :
http://www.youtube.com/watch?v=Pj2ldscwwxw



La Guitarra ♫ La Guitare

Empieza el llanto Commence la plainte
de la guitarra. de la guitare.
Se rompen las copas Se brisent les verres
de la madrugada. de l’aurore.


Empieza el llanto Commence la plainte
de la guitarra. de la guitare.
Es inútil callarla. Inutile de la faire taire.
Es imposible Impossible
callarla. de la faire taire.

Llora monótona Elle pleure monotone
como llora el agua comme pleure l’eau
como llora el viento comme pleure le vent
sobre la nevada. sur la neige.
Es imposible Impossible
callarla. de la faire taire.

Llora por cosas Elle pleure des choses
lejanas. lointaines.
Arena del Sur caliente Sable du Sud brûlant
que pide camelias blancas. qui demande des camélias blancs.
Llora la flecha sin blanco, Elle pleure la flèche sans cible
la tarde sin maňana, Le soir sans matin
y el primer pajaro muerto Et le premier oiseau mort
sobre la rama. Sur la branche.

Oh guitarra ! Oh guitare !
Corazón malherido Cœur mal blessé
por cinco espadas. Par cinq épées.

Federico Garcia Lorca. Poema del Cante Jondo

Ici, version audio:
http://www.palabravirtual.com/index.php?ir=ver_voz1.php&p=Federico%20García%20Lorca&t=La%20guitarra&wid=1335

Deutschland. Ein Wintermärchen

Et un clin d'oeil à Pollet...
Jeanne Moreau- Le Tourbillon de la vie
http://www.youtube.com/watch?v=1JH3O4HSs7g

Allemagne. Un Conte d'Hiver

Ein kleines Harfenmädchen sang.
Sie sang mit warhem Gefühle
Und falsche Stimme, doch ward ich sehr
Gerühret von ihrem Spiele.
Une petite harpiste chantait.
Elle sentait vrai
Elle chantait faux, mais je fus très
Touché par sa musique.
Sie sang von Liebe und Liebesgram,
Aufopfrung und Wiederfinden
Dort oben, in jener besseren Welt,
Wo alle Leiden schwinden.
Elle chantait l’amour et le chagrin
Le sacrifice, les retrouvailles
Là-haut, dans ce monde meilleur
Où toute peine passe.
Sie sang von irdischen Jammertal,
Von Freunden, die bald zeronnen,
Von Jenseits, wo die Seele schwelgt
Verklärt in ewgen Wonnen.
Elle chantait notre vallée de larmes,
Les bonheurs, si vite enfuis,
Et l’au-delà, où festoie l’âme
Transfigurée par les joies éternelles.
Sie sang das alte Entsagungslied,
Das Eiapopeia vom Himmel,
Womit main einlullt, wenn es greint,
Das Volk, den großen Lümmel.
Elle chantait le vieux chant du renoncement
Le Dodo l’enfant do du Ciel
Dont on berce, quand il pleurniche
Le peuple, ce gros balourd.
Ich kenne die Weise, ich kenne den Text,
Ich kenne auch die Herren Verfasser ;
Ich weiß, sie tranken heimlich Wein
Und predigten öffentlich Wasser.
J’en connais l’air, j’en connais les paroles,
Et je connais Messieurs les auteurs.
Je sais, en secret ils boivent du vin
Et au grand jour ils prêchent l’eau.
Ein neues Lied, ein besseres Lied,
O Freunde, will ich Euch dichten !
Wir wollen hier auf Erden schon
Das Himmel errichten.
Un chant nouveau, un chant meilleur
Amis, pour vous je veux créer !
Sur terre, ici et maintenant,
Nous voulons fonder le royaume du ciel.
[…]
Ein neues Lied, ein besseres Lied,
Es klingt wie Flöten und Geigen !
Das Miserere is vorbei
Die Sterbeglocken schweigen[…].
Un chant nouveau, un chant meilleur
Résonne comme flûtes et violons !
Le Miserere a vécu
Le son du glas se tait.
Heinrich Heine

samedi 6 septembre 2008

R. Gary, Chien Blanc

A la question, dans le fameux questionnaire de Proust : « Quel fait militaire admirez-vous le plus ? » j’avais répondu : « La fuite. »
Je me suis beaucoup battu dans ma vie. J’ai fait ma part. Je n’en veux plus.
Tout ce que je demande, à présent, c’est qu’on me laisse fumer en paix encore quelques cigares.
Seulement, ce n’est pas vrai. Et il n’y a rien de plus terrible que de ne pas pouvoir désespérer. (p.48)

J’écris ces notes à Guam, face à mon frère l’Océan. J’écoute, je respire son tumulte, qui me libère : je me sens compris et exprimé. Seul l’Océan dispose des moyens vocaux qu’il faut pour parler au nom de l’homme. (p.49)

Au contact de la Seberg, il m’arrive de retrouver un peu de cette candeur qu’il faut pour gagner en sachant perdre. J’entends par là qu’il faut continuer à faire confiance aux hommes, parce qu’il importe moins d’être déçu, trahi et moqué par eux que de continuer de croire en eux et à leur faire confiance. Il est moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haîneuses venir s’abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie. Il est moins grave de perdre que de se perdre. (p.58)

Chicago, 2008
Nous atterrissons à Chicago. Deux grands magasins du genre Bon Marché sont en train de brûler dans la périphérie du quartier noir. […] Nous regardons les magasins cramer à l’écran. Ça date de ce matin, c’est tout frais, et je me sens bien. Je me sens bien parce que j’aime l’Amérique. Je suis heureux de voir qu’elle bouge, qu’elle a mal, qu’elle va peut-être se réveiller […]. Je ne sais pas ce que sera la nouvelle Amérique, mais je sais que l’explosion noire l’empêchera de pourrir sur pied dans l’immobilisme des structures sclérosées aux sapes invisibles. L’Amérique sera sauvée par le défi noir, ce challenge dont parle Toynbee, que les civilisations relèvent en se transmutant. Ou bien elles périssent. […]
La jeune femme essuie ses larmes. Elle me regarde avec cette confiance qui va ici spontanéement vers les détenteurs d’une sagesse séculaire, les Européens. J’ai envie de prendre ma couronne de Français et de la frotter un peu pour la faire briller davantage.
-- Vous croyez que ça va s’arranger ? me demande-t-elle.
Je me méfie un peu des choses « qui s’arrangent ». Cela fait parfois deux vaincus au lieu d’un seul.
-- Ecoutez, lui dis-je. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles : ça ne va pas s’arranger. La guerre de Sécession ne s’est pas arrangée non plus, heureusement pour l’Amérique. Une minorité de Noirs essaie de libérer les Blancs de l’esclavage, et ce n’est pas facile de faire sauter des étaux qui encerclent les cerveaux depuis deux siècles. De deux choses l’une : ou bien les Noirs réussissent, et l’Amérique changera, ou bien ils ratent et l’Amérique changera aussi. Vous ne pouvez pas perdre. (pp. 71-72)




Le chauffeur nous dépose à l’hôtel. Je lutte contre la tentation de lui d
onner un trop gros pourboire, simplement parce qu’il est noir et que Martin Luther King vient d’être assassiné. (p. 74)

Si j’étais Russe ou Chinois, je souhaiterais de tout cœur que l’Amérique réussisse sa mutation. A ceux des Jaunes ou des Rouges qui parlent d’ « enterrer » l’Amérique, je rappellerai que l’Amérique est un continent immense, que, pour enterrer un tel cadavre, il faut beaucoup de place, la terre entière, très exactement. Tous ceux qui creusent le tombeau de l’Amérique préparent leurs propres funérailles. (p.78)
Chicago, 2008

…Je les ai laissés là-bas, à Paris, tous les deux, dans mes d
eux chambres de bonne aménagées, le jeune Noir Américain et la jeune Française si blanche. […]
-- Fuck them dead. Qu’ils crèvent. D’abord, je ne veux pas aller tuer du Jaune pour m’entraîner à tuer du Blanc, tout ça parce que je suis un Noir. Je ne suis pas seulement une couleur de la peau.
Il jette sa cigarette par la fenêtre.
-- Et puis, je lui ai fait un enfant.
Madeleine est en train de faire la vaisselle, dans l’évier, près de la fenêtre ; Elle a la peau mate qui ferait penser à l’ombre du soleil, si c’était possible. Des attaches fines et les cheveux de serre chaude de ces Françaises d’Algérie qu’aimait tant Camus.
Les parents étaient arrivés quelques jours auparavant de Toulouse, où ils tiennent un restaurant. Des Pieds-Noirs, des Sanchez mâtinés d’Auvergnats. Personne ne les avait prévenus que Ballard était noir. Je les avais reçus chez moi, et je leur avais dit, voilà, c’est comme ça. C’est un nègre.
« Ah bon » dit le père, et la mère, qui avait un sourire nerveux et des dents en or, ne parut ni étonnée ni bouleversée.
La phrase que le père de Madeleine prononça ensuite est de celles qui libèrent définitivement un homme de la couleur de sa peau :
-- On voudrait le voir.
[…]
Ils l’ont vu. La seule chose qui les troublait profondément, c’était la désertion. […]
Je me sentais au milieu d’un magma dialectique aux confusions sans fin. Des Pieds-Noirs chassés d’Algérie en train d’expliquer à un jeune noir américain qu’il fallait être patriote, alors qu’une fraction de l’opinion noire réclamait un Etat indépendant comme l’Algérie… (pp. 91-93)

Romain Gary, 1970, Chien Blanc, Folio- Extraits

Ich liebe das Meer...

Ich liebe das Meer wie meine Seele.
Oft wird mir sogar zumute, als sei das Meer eigentlich meine Seele selbst ; und wie es im Meere verborgene Wasserpflanzen gibt, die nur im Augenblick des Aufblühens an dessen Oberfläche heraufschwimmen und im Augenblick des Verblühens wieder hinabtauchen, so kommen zuweilen auch wunderbare Blumenbilder heraufgeschwommen aus der Tiefe meiner Seele und duften und leuchten und verschwinden wieder – " Evelina ! ".
Pacifique, San Francisco, 2007
(J’aime la mer comme mon âme.
Souvent, il me semble même que la mer est réellement mon âme elle-même ; et de même que dans les mers il y a des plantes aquatiques cachées, qui n’affleurent qu’à l’instant où elles éclosent et à l’instant où elles se fanent replongent vers le fond, de même aussi parfois de magnifiques floraisons viennent nager des profondeurs de mon âme, elles exhalent leur parfum et luisent et disparaissent à nouveau – " Evelina ! ")
H. Heine. Reisebilder


mardi 2 septembre 2008

Peacelike mongoose

In cobra country a mongoose was born one day who didn't want to fight cobras or anyting else. The word spread from mongoose to mongoose that there was a mongoose who didn't want to fight cobras. If he didn't want to fight anything else, it was his own business, but it was the duty of every mongoose to kill cobras or be killed by cobras.

'Why?' asked the peacelike mongoose, and the word went round that the strange new mongoose was not only pro-cobra and anti-mongoose but intellectually curious and against the ideals and tradition of mongoosism.
-'He is crazy', cried the young mongoose's father.
-'He is sick', said his mother.
-'He is a coward', shouted his brothers.
-'He is a mongoosexual', whispered his sisters.
Strangers who had never laid eyes on the peacelike mongoose remembered that they had seen him crawling on his stomach or trying on cobra hoods or plotting the violent overthrow of Mongoodia.
-'I am trying to use reason and intelligence', said the strange new mongoose.
-'Reason is six-seventh of treason', said one of his neighbours.
-'Intelligence is what the enemy uses', said another.
Finally the rumour spread that the mongoose had venom in his sting, like a cobra, and he was tried and convicted by a show of paws, and condemned to banishment.
MORAL: Ashes to ashes, and clay to clay, if the enemy doesn't get you your own folks may.
James Thurber (USA, 1894-1961)