samedi 15 décembre 2012

"La société du spectacle a rencontré la célébration du meurtre"

Si peu de temps après que Mohammed Merah ait tiré sur une  école-collège à 500m de chez moi, la tuerie de Newton ne peut que faire écho en moi. On me dira: "c'est très différent, Merah avait des motivations idéologiques". Non, ce n'est pas très différent. Qu'ouvrir le feu sur des gamins dans une école puisse être, pour un individu, une réponse à quoi que ce soit -- une vision politique, un déséquilibre intérieur, une haine dévorante, un besoin de reconnaissance, que sais-je encore -- est un problème en soi, un problème identique, un symptôme de (dé-)civilisation. Le "jeune homme français issu de l'immigration" et son milieu de banlieue populaire moderne, le petit WASP du Connecticut, le blond enfant de divorcé plus au moins chrétien, plus ou moins schizophrène, de Norvège, l'étudiant coréen de Virginia Tech, tous ont quelque chose en commun: ce qui les pousse à l'action totalement individuelle d'aller tirer dans le tas sur des enfants ou des jeunes qu'ils ne perçoivent pas comme des individus.
Ce ne sont pas les seuls à "tirer dans le tas", ce ne sont pas les seuls à tirer sur des enfants ou des jeunes: bien des soldats (d'armées officielles ou auto-proclamées) le font. Mais, quelle que soit la position qu'on ait sur le rôle et l'utilisation de l'armée, c'est une autre logique. L'action des soldats est une action organisée, dont les buts, officiels ou officieux, sont clairement connus, l'ennemi étiqueté comme tel et qui a été justifié comme ennemi par un discours extérieur, la responsabilité assumée par les supérieurs.
Ici rien de tel. C'est l'individu qui "choisit" "l'ennemi" (une masse partiellement aléatoire) -- et ce qui pourrait le  justifier comme "ennemi" paraît totalement obscur aux yeux d'autrui, porte la seule responsabilité de l'action, dont le but lui-même semble opaque ou absent. Cette bizarre explosion de l'individu contre une société informe incarnée dans ses membres les moins responsables de son fonctionnement (enfants, lycéens, jeunes), dont il est lui-même, au fond, peut éloigné en âge (Breivik: 32 ans, Merah:  24 ans, Cho Seung-hui: 23 ans, Columbine: 17 et 18 ans, Adam Lanza: 20 ans, etc...), en quoi nous paraît-elle si "américaine"?
On trouve pourtant ce type  d'événements ailleurs, mais pas partout : Canada, Allemagne, Finlande, Chine. Et seulement plus récemment un au Japon, un en Azerbaijian. Et un au Brésil, un en France (2 avec "Human Bomb"?), un en Italie (? c'est une bombre devant un lycée), comme si "les pays latins" et catholiques, qui se cantonnaient à d'autres formes de violences jusqu'à peu, subissaient une contagion liée à la perte de leur organisation sociale.

Le titre de mon post vient de cet article:

http://www.huffingtonpost.fr/pierre-guerlain/tuerie-newtown-massacre-violences-etats-unis_b_2306173.html

1 commentaire:

Astrognome a dit…

Deux remarques spontanées et pas très réfléchies :

1° Différence traditionnelle entre pays du sud (latins et/ou catholiques, cultures hystériques) et pays du nord (germano-scandinaves et/ou protestants, cultures phobico-obsessionnelles) : jadis, sur le terrain intime, les pays du sud favorisaient le crime passionnel, les pays du nord, les tueurs en série (Jack l'éventreur, l'étrangleur de Boston...).

Quel lien hasardeux établir entre les serial killers et le dégommage en règle, sur le mode du passage à l'acte, de tiers non concernés, que ce soit avec ou sans alibi idéologique ?

2° Pour avoir longtemps exercé un métier de contact en banlieue parisienne, en prise directe avec les dysfonctionnements lourds de notre société (manière polie de dire que les profs, tout comme les assistantes sociales, les pompiers et quelques autres corps de métier, se prennent toute la violence sociale dans la tronche), ce qui m'étonne somme toute davantage, vu la rancœur latente dont sont tissées les sociétés modernes en général et la société française en particulier, c'est que ça n'arrive pas plus souvent, des gens qui se mettent à tirer dans le tas. Et je crains que ça puisse aller qu'en se généralisant.